C'était maintenant évident que l'hiver était terminé. La chaleur du jour s’abattait sur le désert d'herbe et de pierres qu'est le massif de Cania. Marchant seule, Awk distinguait au sud l'immense forêt des Abraknydes. Elle aurait aimé marcher à l'ombre des arbres mais elle avait entendu dire que de dangereuses créatures vivaient dans ces bois. Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'elle avançait, essayant d'éviter la route qui s'effaçait alors que l'herbe du printemps repoussait petit à petit.
Il était midi. Awk vit une souche à quelques mètres d'elle. Elle décida de s'y assoir quelques instants pour se reposer et d'en profiter pour déjeuner. Elle retira ses gants, déboucla sa sacoche et la posa par terre avant d'en sortir un beignet sucré que la chaleur avait ramolli et qui lui collait aux doigts. Alors qu'elle dégustait sans appétit sa confiserie en observant les murailles de la cité d'Astrub, qui paraissaient vraiment lointaines à l'horizon, son regard se posa sur ce qui semblait être un nuage de poussière au loin. Peu à peu, Awk se rendit compte qu'il se rapprochait dangereusement d'elle. Elle réajusta ses lunettes, réalisant l'urgence de la situation, attrapa sa sacoche et envoya la sangle sur ses épaules. Elle pouvait maintenant voir qu'il s'agissait d'une dragodinde qui galopait dans sa direction, elle se hâta donc de s'éloigner du chemin. Au moment où l'animal aurait dû la dépasser, ses pattes heurtèrent un pic rocheux et la bête s'étala de tout son long. Abasourdie par ce qui venait de se produire, Awk resta immobile quelques instants puis s'approcha de la monture qui gisait au sol, visiblement toujours sous le choc de sa chute, bien que consciente malgré tout.
La bête gisait là, elle avait sur le dos une selle à laquelle pendaient deux petits sacs. Awk saisit la muserolle et tira la tête de la dragodinde qui, à sa grande surprise, parvint à se relever. Elle attrapa alors les rênes et se retourna pour reprendre son chemin dans la direction d'où venait la monture. La dragodinde boitait, Awk ne pouvait raisonnablement pas la monter. Elle marcha donc à son côté pendant un long moment. Astrub était plus proche quand elle entendit des cris au loin. Ce qui semblait au début indistinguable s'éclaircit progressivement. Il s'agissait d'un jeune homme qui appelait quelqu'un, manifestement sa monture se dit Awk : « Miillouisse ! Miillouisse ! ». Elle s'arrêta. L'inconnu s'approchait, sans doute l'avait-il déjà remarquée mais il continuait à courir. Alors que sa silhouette devenait de plus en plus nette, Awk devina qu'il s'agissait d'un Ecaflip. Il regardait droit devant lui et continuait à crier, agitant les bras dans les airs. Awk s'attendait à ce qu'il vienne l'aborder pour réclamer sa monture mais il l'ignora complètement et poursuivit son chemin. Elle observa la dragodinde, qui la dévisageait elle aussi puis haussa les épaules et reprit sa route.
En arrivant en ville, Awk trouva une écurie. En échange de quelques kamas, un garçon s'occuperait de la bête et panserait sa patte. Avant de la confier, elle entreprit de détacher les sacs de la selle. Ils contenaient un chapeau et une clé. Pas de bourse, elle soupira. Toutefois, le couvre-chef lui plaisait, elle décida de le porter.
En attendant que sa dragodinde nouvellement acquise soit rétablie, elle se balada en ville. Cela faisait plusieurs années qu'elle n'était pas venue en Astrub, les rues avaient changé mais grouillaient toujours de monde. Elle fut surpris et gênée en remarquant qu'un grand nombre de personnes la dévisageaient. Pouvaient-ils ainsi identifier une inconnue au milieu d'une telle foule ?
À la fin de la journée, Awk revint récupérer sa monture. Elle paya le valet d'écurie, qui lui dit « Merci, dame Selenyte ». Pensant qu'il la confondait avec quelqu'un d'autre, elle ne releva pas la méprise. Le garçon reprit cependant la conversation. « Votre clan est-il de retour en Astrub ? demanda-t-il.
- Quel clan ? répondit Awk, perplexe.
- Les Selenytes, enfin ! »
- Peut-être bien. » finit-elle par inventer, ne souhaitant pas s'éterniser alors que la nuit tombait.
Awk entreprit de chercher l'auberge pour y passer la nuit. Alors qu'elle traversait les rues, un détail retint son attention : il y avait devant elle une grande maison qui semblait inhabitée depuis un bon moment. Un panneau était cloué sur sa porte, le mot "Selenytes" lui sauta aux lieux. Elle attacha la dragodinde à un petit arbre qui avait poussé là, sortit de sa poche la clé trouvée dans les sacs que portait l'animal et l'essaya dans la serrure de la porte. Le mécanisme résista un peu, mais la clé finit par tourner et la porte s'ouvrit.
De la poussière recouvrait tous les meubles, cela faisait longtemps que personne n'était pas venu ici. Awk pensa qu'elle allait trouver des araknes au plafond mais elle n'en vit pas. Elle alluma une bougie et visita les lieux. Certaines portes étaient verrouillées, mais la serrure était la même que celle de la porte d'entrée. Elle trouva des armes, des coffres, et surtout beaucoup de parchemins. Sur l'un d'eux, elle lit "Mercenaire tu deviens aujourd'hui et le resteras à jamais". Pensive, elle entra dans une espèce d'antichambre et trouva ce qui s'apparentait à un registre. Sur chaque page, on pouvait lire un nom, celui d'un dieu - Awk jugea qu'il s'agissait de l'allégeance de la personne - et, parfois, un petit paragraphe qui présentait la personne. Il y avait également une plume et un encrier, comme pour l'inviter à s'inscrire à son tour.
Elle réfléchit un moment, puis revit les coffres qu'elle ne pouvait pas ouvrir, mais qui avaient certainement contenu de belles richesses. Un sourire se dessina sur son visage, elle prit délicatement la plume et la trempa dans l'encrier puis se mit à écrire quelques mots.
« Awk Narsaan, Oktapodas. »